
16
July 2025
Chez Glénat Édition, Perrine Baschieri pilote depuis 2021 l’ensemble de la stratégie marketing, à la tête d’une équipe d’une vingtaine de personnes réparties en trois pôles : marketing produit, digital et événementiel. Dans un secteur historiquement stable, mais bouleversé par l’explosion du manga et de la BD jeunesse post-confinement, elle a repensé l’ensemble de la chaîne marketing : nouveaux formats, montée en puissance du live, activation d’influenceurs, stratégie CRM et réflexion sur les plateformes de lecture. Elle revient ici sur ses enjeux du moment, sa vision du marketing éditorial, la manière dont elle structure ses équipes et ce qu’elle attend de ses partenaires.
Quels sont les grands enjeux qui vous mobilisent aujourd’hui ?
Perrine Baschieri : Le livre est un secteur culturel assez stable. Généralement, il fait entre -1 et +1 % de croissance par an, avec parfois des pics liés à des épiphénomènes éditoriaux comme Astérix, Harry Potter, ou plus récemment La femme de ménage.
Mais en 2021, nous avons connu un vrai changement de paradigme : le confinement a fait exploser la lecture et plus particulièrement la bande dessinée. Un livre sur quatre acheté était une BD et un livre sur huit était un manga. Ce basculement a élargi notre spectre de communication et notre lectorat. Il y a eu un effet de génération : les ados, enfermés chez eux, ont lu et regardé beaucoup d’animés. Les plateformes ont joué un rôle clé.
Cela a changé nos pratiques marketing et nos arbitrages. J’ai structuré mes équipes autour de trois services : le marketing produit (sur nos quatre catalogues), le digital et l’événementiel. Ce dernier est fondamental dans notre secteur : c’est notre canal de conversion directe, mais aussi un levier de construction de marque et de communauté.
Comment abordez-vous la transformation digitale et l’IA ?
P.B. : Quand je suis arrivée, le marketing digital était encore peu structuré chez Glénat. Nous avons recruté des profils plus hybrides, monté un studio ou encore lancé notre propre chaîne Twitch. Nous avons d’ailleurs été les premiers à faire cela dans l’édition. Aujourd’hui, nous faisons des lives réguliers sur la BD ou le manga.
Nous avons aussi beaucoup développé la partie influence. Nos auteurs japonais ne se montrent pas, donc il a fallu trouver d’autres voix. On a mobilisé des fans, mais aussi des influenceurs jeux vidéo comme Ken Bogard ou Ultia. Ultia, par exemple, ne lisait pas de BD il y a quatre ans et aujourd’hui, elle anime nos lives à Angoulême. Nous avons réussi à faire passer des gens du jeu vidéo à la BD, ce qui est rare.
Nous testons également TikTok, mais pour l’instant ce n’est pas aussi efficace. BookTok, la sous-communauté de TikTok dédiée aux livres, fonctionne bien sur la romance avec notre filiale Hugo Publishing, mais pas tellement sur la BD, le manga ou la jeunesse.
Côté IA, nous sommes en phase d’observation. Je ne suis ni pour, ni contre. Pour le moment, nous en sommes à explorer des cas d’usage : améliorer le SEO, ajuster les wording ou produire plus vite. Nous voulons prendre le temps de bien faire les choses, et surtout, nous assurer de respecter les contraintes juridiques.
Quel rôle joue aujourd’hui l’événementiel dans votre stratégie ?
P.B. : L’événementiel est un axe majeur, car c’est la rencontre directe entre notre public, nos auteurs et notre marque. Pour la dernière Japan Expo, par exemple, nous avons complètement réinventé notre stand en nous inspirants des événements de gamers. Résultat : nous avons mis en place un stand immersif, digitalisé, avec étage studio, live continu, diffusion de trailers exclusifs, distribution de goodies, séances de dédicaces… En deux jours, plus de 168 000 personnes ont suivi nos lives !
Nous avons aussi transposé ce modèle à Angoulême, qui est un salon plus traditionnel. Nous y avons intégré de la vidéo, des visites de la ville avec les auteurs, des formats plus interactifs. C’est un vrai levier de notoriété, de conversion et de différenciation.
Comment travaillez-vous votre connaissance client, malgré la fragmentation de la donnée ?
P.B. : C’est un enjeu clé. Nous avons refondu notre site pour mieux suivre les parcours utilisateurs. Nous distinguons mieux les typologies de clients selon les catalogues, mais comme nous ne vendons pas en direct, nous n’avons pas beaucoup de données transactionnelles. Nos lecteurs achètent en librairie, en GSS, en e-commerce… Pour compenser cela, nous faisons beaucoup d’études quanti, quali ou encore d’ateliers terrain.
Nous organisons des échanges systématiques avec les libraires : retours sur les formats, les prix, les attentes des clients… Ce sont de vrais focus groupes en live.
Quels profils recherchez-vous dans vos équipes ?
P.B. : Je cherche des passionnés, des gens qui lisent, qui connaissent les auteurs et qui comprennent les communautés. En marketing produit, j’ai des responsables par segment, très experts. Certains sont là depuis longtemps, d’autres ont des parcours plus atypiques.
Sur le digital, j’ai recruté des profils agiles et pour beaucoup, autodidactes. Certains avaient déjà des projets personnels : podcasts, vidéos… Ce ne sont pas toujours des diplômés du marketing digital, mais ils ont une appétence pour l’écriture, le contenu et/ou le montage.
L’événementiel, c’est un autre monde, c’est très intense. Il faut tenir cinq jours de salon de 7h à 2h du matin, garder le sourire, gérer les imprévus. Je cherche des gens sociables, très organisés et qui aiment le terrain. Au-delà des compétences, je veille beaucoup à la cohérence d’équipe.
Quel usage faites-vous de la formation ?
P.B. : Nous utilisons plusieurs formats. Lorsqu’un besoin est partagé par plusieurs personnes, nous pouvons organiser des formations groupées en interne, avec l’appui de la direction et de la DRH.
Nous finançons également des formations externes, directement sur notre propre budget, lorsque les besoins sont plus spécifiques. Récemment, l’équipe digitale a exprimé le souhait d’être formée à l’IA pour gagner en efficacité au quotidien. Cette demande est en train d’être étudiée à l’échelle de tout le service.
Au-delà de ces dispositifs, nous accordons beaucoup d’importance à la montée en compétence par la pratique. Plusieurs membres de l’équipe se sont formés eux-mêmes, notamment en vidéo ou en podcast, et sont devenus des références en interne. Cette capacité à apprendre de façon autonome fait partie de la force de notre collectif.
Quel rôle jouent vos partenaires externes ?
P.B. : L’externe est là pour apporter des compétences que nous n’avons pas, ou pour prendre du recul. Sur un projet comme La Nuit One Piece (événement organisé dans le cadre de la sortie d’un nouveau tome du manga One Piece), que nous menons depuis quatre ans, nous avons mobilisé une agence. C’est un projet énorme : 600 points de vente activés, du live, de la coordination nationale…nous avons besoin d’être épaulés ! Mais la vision reste en interne.
Aujourd’hui, nous faisons appel à l’externe aussi pour nous renouveler, avoir de nouvelles idées. Nous ne pouvons pas être innovants en permanence, nous avons besoin d’oxygène.
Nous travaillons aussi avec Hachette Digital, notre distributeur, qui nous propose des outils comme Kolsquare pour le marketing d’influence. Certains nous conviennent, d’autres non. Nous restons sélectifs, mais c’est une vraie source d’inspiration.
L’équipe Spaag.